« La Bio comme laboratoire du conventionnel » ?

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Il est une expression qui revient souvent : « La Bio est le laboratoire du conventionnel ». On l’entend en agriculture, et on l’entend aussi en agro-alimentaire, et sans doute aussi dans les autres secteurs (cosmétique, hygiène, textile…).
Loin d’être péjorative, cette observation reflète en effet assez bien la réalité lorsque l’on considère toutes les « nouvelles tendances », qui sont en fait le développement de produits qui existaient déjà il y a 20, voire plus de 30 ans dans les magasins spécialisés bio. Prenons par exemple, les « steaks végétaux » ? Vous souvenez-vous du Croque-tofou ? Il est né en 1984 d’après l’histoire de la marque, et ces galettes végétales, premières alternatives de base de repas, ont commencé très vite à se décliner pour varier les plaisirs des consommateurs bio. Et il est facile de trouver de nombreux autres exemples sur le secteur des alternatives végétales. Olga, avec sa marque Sojade, a lancé les premiers desserts végétaux au soja en 2002, puis a été pionnier sur la valorisation du chanvre en 2014.
Autre exemple, les pâtes aux légumineuses dont on analysait les prémices de tendances en 2015 chez Ingrébio, florissent désormais en conventionnel.1
Le secteur bio a fait découvrir aux Européens de nombreuses matières premières, dont certaines sont maintenant cultivées en France : le quinoa (avec Ekibio), la baie de goji, le guarana, et plus récemment la graine de chia…
C’est dans les magasins bio que se sont développés les premiers produits sans gluten, mais aussi tout simplement les graines apéritives variées telles que graines de tournesol, de courge ou autres noix originales, variant de la cacahuète grillée salée…
Et n’oublions pas les produits (lacto-)fermentés… la 1ère marque de légumes lactofermentés Nutriform est née en 1992, bien avant la tendance actuelle des kimchis !

Aujourd’hui, le contexte de crise bouscule les acteurs bio. La forte croissance des années 2015-2020 a-t-elle freiné l’innovation par excès de sur-confiance ?
Nous observons les tendances de formulations bio depuis 10 ans, et on ne peut que confirmer que l’innovation a été dynamique pendant cette période. Mais y a-t-il eu de vraies innovations de rupture, comme les desserts végétaux ou les pains sans gluten ?

L’innovation n’est pas toujours là où on l’attend…
Ces dernières années, en effet, les innovations ne sont pas seulement dans les formulations. Elles sont aussi dans les manières de faire, dans les engagements, dans les relations… plus subtiles et peut-être moins marquantes pour les consommateurs.

En particulier, on a pu observer une forte évolution dans les démarches d’approvisionnements. Pas forcément visibles sur le produit, c’est via les sites internet des marques, les communications sur les réseaux sociaux et via les QR-codes, qu’on mesure de (nouveaux) engagements à s’approvisionner en direct producteurs, ou bien à proximité de l’entreprise. Les relations commerciales équitables ont également largement progressé : les nouveaux labels en témoignent.

Comme nous le suggérons souvent, les choix de développement produits ne doivent pas forcément suivre une tendance marketing mais s’intéresser aux ressources disponibles à l’approvisionnement, et à partir desquelles on peut créer un produit… avec une histoire.
Cela peut être une ressource locale ou celle d’un fournisseur associé, même lointain. Cela peut-être le co-produit d’un voisin ou la production d’une rotation de culture d’un producteur partenaire…

En témoignent les nouveautés présentées aux Trophées Natexpo

Lou Prunel, spécialiste du pruneau d’Agen, a par exemple cherché comment il pouvait valoriser une autre ressource locale : la noix. Cela donne une pâte gourmande, simple et néanmoins innovante, alliant 2 matières premières phares du Sud-Ouest.
De son côté, In Extremis a recherché des sources d’ingrédients revalorisés (up-cyclés) pour concevoir une nouvelle boisson : son infusion chocolatée La Cabossée est formulée à base de 74% de cosses de cacao et de marc de pommes, provenant de producteurs français.

Après le succès d’Handi-gaspi et sa marque Kignon, vainqueur des Trophées Natexpo 2022, l’upcycling agroalimentaire est d’ailleurs sans aucun doute l’innovation de rupture de cette décennie.

Une étude scientifique publiée en mai 2023 montre que les consommateurs sont sensibles aux arguments du ‘Bio +’, que peuvent être le partage équitable de la valeur avec les producteurs, l’intégration des personnes handicapées ou la préservation de l’environnement2. Menée en Italie du Sud, cette étude conclut que les consommateurs sont prêts à payer plus chers des produits ‘biologiques +’ par rapport aux produits biologiques sans ces attributs éthiques supplémentaires, à condition qu’ils aient à leur disposition les connaissances pour en juger.
Il ne suffit donc pas d’innover en utilisant les démarches d’approvisionnement les plus vertueuses… encore faut-il s’assurer que le consommateur en soit informé et comprenne les coûts supplémentaires générés pour les accepter.

 

[1] Les pâtes s’enrichissent de légumineuses, Ingrébio, 24/02/2015

[2] Rizzo, G., Testa, R., Schifani, G. et al. The Value of Organic plus. Analysing Consumers’ Preference for Additional Ethical Attributes of Organic food Products. Soc Indic Res (2023). https://doi.org/10.1007/s11205-023-03123-8

 

 

— Un article rédigé par Gaëlle Fremont, Ingrébio —